Analyse de la démarche artistique

 Démarche :       


      Sophie Ristelhueber est une artiste de l'obsession. Elle dit elle-même : "j'ai des obsessions que je ne comprend pas très bien, de la marque profonde, de la surface entaillée, des cicatrices, des traces que les êtres humains laissent sur la terre. Mais il ne s'agit pas d'un commentaire sur l'environnement. D'une certaine manière, je suis une artiste qui travaillerait un peu comme une archéologue". Elle travaille sur le passé, sur la trace mais aussi sur son passé à elle. Sa propre histoire a tout autant influencé son travail que l'histoire de la terre.


      Son enfance ressort dans la série photographique Vulaines réalisée en 1989. Dans ces photographies, on évoque le souvenir, le passé mais aussi l'absence. Des meubles vides, des intérieurs inhabités, et plus loin, dans un autre cadre, des personnages du passé. Il ne reste plus que la trace, la trace immatérielle dans l'esprit, et plus celle laissée sur les fauteuils, les matelas, usés par le temps.


      Les études littéraires qu'elle a effectuées ont aussi eu une incidence sur son travail. En effet, elle a étudié le Nouveau Roman pendant sa scolarité à la Sorbonne, et plus particulièrement le roman La Jalousie (1957) d'Alain Robbe-Grillet. Sophie Ristelhueber reprend certains principes du Nouveau Roman pour réaliser ses œuvres et notamment son travail photographique. Par exemple, en ce qui concerne la non-nécessité de faire figurer des personnages dans ses œuvres. Dans la plupart des travaux de l'artiste, il n'y a effectivement pas de présence humaine, uniquement sa trace. C'est ce que l'on peut constater avec les photographies de Fait (1992) où l'on ne constate que des vestiges dans le désert du Koweit. Elle explique le titre de cette série par un jeu de double sens sur le mot "fait". Ces images évoquent un fait et montrent ce qui a été fait.



       Et lorsque des personnages sont représentés, ils n'y sont souvent que partiellement ou de façon à ce qu'on ne puisse pas les reconnaitre. Le travail de l'artiste vise à montrer une universalité et non pas des individus dans leurs personnalités propres. Ainsi, la série Every One (1994) ne montre que des parties du corps. Ce qui compte c'est la cicatrice, pas la personne. On retrouve aussi ici l'idée de la réparation, de la reconstruction, chères à l'artiste.




      Avec l'œuvre Eleven Blowups (2006), une série de 11 photographies, Sophie Ristelhueber utilise le trucage d'image. En effet, elle vient ajouter des cratères causés par des attentats dans des paysages où cela n'aurait jamais lieu, des photographies de son fond personnel. C'est de cette manière qu'elle a voulu traiter le conflit en Irak. Ceci est également une remise en cause des médias où l'on peut faire dire ce que l'on veut aux images. Sophie Ristelhueber a été journaliste mais ne veut pas que son travail soit vu comme tel. Elle choisit de traiter les images de façon différente en éloignant toute idée de pathos dans ses œuvres. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle a été critiquée d'installer trop de distance et de froideur dans ses créations.




      Sophie Ristelhueber a exploré plusieurs moyens de transmettre ses idées outre la photographie. Elle co-réalise un film avec Raymond Depardon intitulé San Clemente (1980-1982) du nom de l'ile sur laquelle se trouve l'hôpital psychiatrique, lieu de leur tournage et de leur sujet. Ce projet a créé un lien entre le film et la photographie dans l'esprit de l'artiste.


      Dans son soucis de travailler sur l'espace, l'artiste s'est également attachée à voir la portée que le son pouvait avoir dans une telle dimension. Le Tunnel (2003), une bande son répétant en boucle des extraits du Derviche et de la Mort de Mesa Selimovic, est un travail dans lequel Sophie Ristelhueber a fait intervenir les habitants de la région des gorges de Kiyotsukyo au Japon. L'objectif était que les villageois puissent se réapproprier l'espace autrement que par des images et qu'ils soient acteurs de leur propre environnement.


     On retrouve également parmi les travaux de l'artiste une installation intitulée Résolutions (1995) mettant en scène cinq tentes blanches de terrain. Ici encore, les mots prennent de l'importance, résonnent dans la tête. Il s'agit de morceaux de phrases tout droit sortis de discours politiques traitant de conflits. Car où n'y-a-t-il pas de meilleurs témoignages de passages des hommes que sur des lieux de guerre ? Le thème de la destruction y est prépondérant.



Particularités :
       
      Une des particularité de ses œuvres est le fait que l'artiste choisit rarement de nommer chaque photographie d'une même série avec un nom différent. Par exemple la série Every One est composée de 14 photographies reprenant le titre, en changeant légèrement l'orthographe, auquel on ajoute un numéro. Ainsi l'on trouve Everyone #3 ou encore Everyone #11. Ainsi l'on se rend compte qu'il est important de regarder la série dans sa totalité, que ce ne sont pas les photographies prisent une par une qui font œuvre mais bien le message qu'elles font passer ensemble. 


      Le cadre et le cadrage prennent également une place très importante chez Sophie Ristelhueber car il rappelle au spectateur que le sujet, l'être humain, est souvent en dehors de l'œuvre. Cependant on sait qu'il est là par les traces qu'il a laissées. Dans La Campagne (1997), on se trouve face à des paysages presque idylliques et pourtant cela cache les charniers tels que Srebenica ou encore Sarajevo. Ce qui est important dans cette œuvre c'est ce qui se trouve hors-champs. Le choix de cadragese fait également ressentir dans des travaux comme Fait (1992) par exemple. Sophie Ristelhueber choisi de ne pas mettre d'échelle, on se sait plus très bien alors si ce que l'on voit est immense ou tout petit.


      Il est également intéressant de  s'attarder sur la disposition des œuvres de Sophie Ristelhuber dans les expositions. Elle attache en effet une grande importance à la façon d'occuper l'espace. On constate alors que cette obsession de la trace dans l'espace se retrouve même dans l'agencement des œuvres. 


      Depuis le début de son parcours artistique Sophie Ristelhueber poursuit une réflexion sur  la trace dans le temps et dans l’espace, au travers d’une approche sur les ruines, les cicatrices, l’empreinte de l’homme dans des lieux dévastés par la guerre. A travers les différentes méthodes utilisées, Sophie Ristelhueber met en avant les thèmes récurrents de la destruction et de la reconstruction. L'absence y est également présente, la trace de quelque chose qui n'est plus. Elle fait alors figurer le déchirement par des cicatrices, des cratères, représentant pleinement cette idée non pas de vide mais de ce qui a été enlevé, de ce qui n'est plus.